La parution des nominations approche. Elles sont chaque année plus difficiles. Je comprends la peine, voire l'incompréhension, qu'elles provoquent. Voir s'éloigner le prêtre auquel on était attaché est aujourd'hui plus que jamais l'épreuve : il était devenu l'ami, le confident perçu comme irremplaçable, et malheureusement souvent non remplacé.
L'un ou l'autre diocésain, ne sachant sans doute rien de la réalité du diocèse m'écrit – même sa colère : "Ne vous étonnez pas si les églises sont vides"… Quand ça n'est pas la menace en forme de chantage : "Si c'est comme cela, je ne paierai plus mon denier du culte…"
Je comprends cette colère et même ce chantage. Mais puis-je vous confier qu'ils m'atteignent et me peinent. Les nominations ne se font qu'à la suite de nombreuses rencontres. Elles ne se font qu'en accord avec ceux qui reçoivent une nouvelle mission, souvent plus lourde que celle qu'ils quittent. Mission qu'ils accueillent dans la foi au Christ et dans la confiance en l'Église. Les prêtres se souviennent qu'ils ont promis obéissance à leur évêque au jour de leur ordination, non pas l'obéissance aveugle et servile, mais l'obéissance lucide et responsable. Ils savent, eux, la réalité de la situation. Ils savent qu'ils acceptent des missions plus difficiles, à vivre autrement, alors qu'ils sont plus âgés. Ils le savent avec les baptisés les plus responsables qui collaborent avec eux. Et cette réalité est la suivante : en 2001, lorsque je suis arrivé parmi vous, il y avait près de 350 prêtres dont 215 avaient moins de 75 ans. Aujourd'hui, sur 200 prêtres, seulement 100 ont moins de 75 ans.
Ma prière est que nous vivions cette situation dans la plus grande foi :
1. Nous savons pouvoir compter sur le Christ dans l'épreuve longue que nous avons à traverser. Il est l'époux d'une Église qui a déjà, en vingt siècles, traversé avec lui des souffrances autrement plus grandes que la nôtre.
2. Nous savons qu'il appelle autant aujourd'hui dans le diocèse de Cambrai qu'autrefois sur les bords du lac de Galilée ceux dont il souhaite qu'ils "quittent tout pour le suivre", dans la joie de proposer à temps plein et à cœur plein la Bonne Nouvelle dans la société telle qu'elle est. Mais il y a beaucoup de "jeunes hommes riches", comme celui de l'Évangile, qui ont du mal à entendre la cascade des appels clairs au Christ : "Va, vends, donne, viens, suis-moi" (Luc 18,22).
3. Le Christ et l'Église ont besoin d'hommes qui se donnent tout entiers pour vivre "à la manière des apôtres". Même très peu nombreux, c'est à la mesure de leur don et de leur sainteté qu'ils seront reconnus, accueillis, attendus.
4. Nous avons à nous demander ce que le Seigneur veut nous faire comprendre grâce à cette épreuve. C'est sans doute que la vitalité de l'Église repose d'abord sur tous les baptisés qui se savent ensemble les premiers responsables de Jésus, de l'Évangile et de l'Église, à la condition qu'ils donnent à voir le "Voyez comme ils s'aiment entre eux", et le "Voyez comme ils servent les autres". Je crois cela fondamental. Je vois tellement d'énergies missionnaires stérilisées par des divisions et querelles, il faut bien le dire, idiotes.
5. Les prêtres alors deviennent les entraîneurs et les arbitres qui passent d'équipe en équipe, parce que toutes les équipes des "sportifs de Dieu" que sont les baptisés en ont besoin pour bien jouer le seul match qui dure toute la semaine, après l'entraînement du dimanche qu'est l'Eucharistie : et ce match, c'est celui de l'Évangile à vivre avec joie quoi qu'il en coûte dans la vie la plus quotidienne. Et les prêtres n'ont plus qu'à vivre les missions qui sont les leurs, depuis le jour de leur ordination :
§ celle de garantir qu'on ne fait dire n'importe quoi à la Parole de Dieu, laquelle peut toujours être priée et méditée lorsqu'ils ne sont pas là ;
§ celle de célébrer les grandes rencontres du Christ que sont les Sacrements, notamment l'Eucharistie et le Pardon ;
§ celle enfin de guider les Communautés rencontrées de telle sorte que leurs membres soient vraiment unis entre eux dans la joie de croire ET ouverts à tous les autres, dans le courage de servir les plus abandonnés d'entre eux.
X François Garnier
Archevêque de Cambrai