Pour Mgr François Garnier, archevêque de Cambrai, en sa cathédrale
Homélie de Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Lille
Lectures : Éphésiens 3, 14-21 ; Marc 1, 29-39
Ce frère que nous entourons de notre amitié est d’abord un croyant. Un mélange de qualités et de défauts, d’intention droite et d'insuffisances devant le Seigneur, de désir d’aimer et aussi d'occasions de pécher comme chacun d’entre nous : ce n’est pas à nous d’en faire le bilan, c’est Dieu, le miséricordieux, qui juge, et François GARNIER le croyant faisait confiance au Seigneur pour être jugé en toute justice et miséricorde.
C’est un ami pour beaucoup de nous, un père pour ce diocèse de Cambrai, un passionné de l’évangile chacun, ici, en a bien conscience. Mgr François Garnier, archevêque de Cambrai, ancien évêque de Luçon, d’abord prêtre du diocèse de Dijon où il fut vicaire général et administrateur diocésain au passage entre Mgr Balland et Mgr Coloni, n’a pas cessé de vouloir faire aimer le Christ et son évangile. Pour lui, l’évangile ne fut jamais une doctrine sèche et péremptoire même s’il aimait toute la richesse de cet enseignement ; pour lui l’éthique chrétienne ne constituait pas une forteresse où il fallait s’enfermer pour juger les hommes et les femmes dont le chemin était plus douloureux et incomplet que volontairement fautif : comme il a aimé la douceur de l’approche des questions familiales du Pape François dans Amoris Laetitia et celle de la sainteté dans la dernière exhortation apostolique Gaudete et Exsultate ! Ni dogmatisme ni moralisme (ni gnosticisme ni pélagianisme dit le Pape) dans la façon d’envisager sa responsabilité au cœur de l’Église et d’abord dans sa façon de vivre la foi : « La vraie sagesse chrétienne ne doit pas être séparée de la miséricorde envers le prochain. » Exsultate et Gaudete, n°46
On lit cette passion et cette urgence dans le petit recueil de ses éditoriaux, intitulé Il est venu le temps du réveil : ce désir permanent de faire entrer dans le mystère du Christ, dans son unique passion pour le Père et pour tous les hommes, le père Garnier le puisait dans l'évangile, notamment dans le passage que nous venons d'entendre. Où l'on voit Jésus sortir de la synagogue où il avait enseigné et fait taire un discoureur trop prompt à empêcher la Bonne Nouvelle, puis se précipiter à la maison pour guérir la belle mère de son hôte Simon et tous les malades qui se présentent à sa porte. Puis de nouveau en prière, seul cette fois et de nuit, pour rejoindre le Père de qui il tient sa mission ; enfin, repartant immédiatement sur d’autres chemins où il faut aussi aller pour répondre aux attentes multiples.
Je ne crois pas qu'il s'agisse seulement d'un trait de tempérament ! Mais il y avait de l’urgence à passer d’une visite pastorale à un conseil puis à un pèlerinage en Terre sainte, à un bref édito toujours percutant, à la formation des laïcs, au Concile provincial qui dans la ligne de Vatican II compte sur la vitalité de chaque communauté chrétienne, au discernement des vocations et au soutien au séminaire ... Et je me méfie de fermer cette liste ! Je l’ouvre à peine, c’est volontaire, chacun ajoutera ce qu’il connaissait le mieux de la personnalité du Père Garnier.
Il a demandé que soit évoquée, en ces jours, la joie de croire qui l’habitait. Je n’ai aucun mal à le faire, on sait que « la joie de croire » est la devise de ma vie et de mon ministère. C’est la joie que donne le Seigneur lui-même selon l’évangéliste Jean « pour que ma joie soit en vous » ; c’est la joie dont parle cette évangélisatrice extraordinaire que fut Madeleine Delbrêl dans les quartiers populaires de la banlieue parisienne dans la première moitié du siècle précédent. La joie de l’évangile, la joie de l’amour, la louange pour la création, la joie de la sainteté. Rien dans la vie du disciple, rien dans la vie du missionnaire ne peut l’empêcher, ne peut la retarder, c’est elle qui évangélise, parce que, par elle, le disciple sait que ce n’est pas lui, mais le Seigneur qui directement touche le cœur de celui qui écoute, de celui qui vit un événement qui l’interpelle.
Alors il faut aussi parler de sa devise : « enracinés dans l’amour ». Nous l’avons entendue dans la lecture de l’extrait de la lettre de Saint Paul aux Éphésiens : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; restez enracinés dans l’amour, établis dans l’amour. » Il tenait ce choix de l’évêque de Dijon qui l’avait ordonné prêtre, Mgr André Charles de la Brousse, dont le ministère avait affronté une dure crise dans les années 1970. De lui certainement il avait appris l’humilité et la fidélité au milieu des épreuves et des souffrances, et il tenait aussi de lui l’anneau épiscopal remis aux évêques à la fin du Concile par le Pape Paul VI, qui sera canonisé dans quelques semaines. Cet anneau, Mgr Garnier en faisait un signe de la continuité de l’épiscopat certes, mais surtout de la continuité de l’Église dans sa mission.
Le texte de Saint Paul que nous avons entendu situe toute chose dans le mystère de l’amour paternel de Dieu pour tous, ce mystère connu des croyants qui peuvent sans cesse s’y laisser aller avec la puissance de l’Esprit saint. Mais ce mystère s’éprouve par l’amour qui nous sollicite quotidiennement : « Ainsi vous serez capables de comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur … »
Comprendre et éprouver la largeur de l’amour de Dieu qui n’est pas réservé à quelques uns. Vous avez été nombreux à souligner, ces jours-ci, son attention aux plus humbles des enfants de Dieu, aux plus petits, aux malades et aux personnes en situation de handicap, et, j’ajoute, à ceux qu’une injustice blessait ou même aurait pu atteindre. Ce n’était pas qu’une sensibilité – cela l’était assurément ! et cela pouvait irriter parfois – c’était aussi une compréhension vive de cette largeur de l’amour de Dieu.
Comprendre et éprouver la longueur de ce même amour de Dieu, qui ne s’arrête pas aux obstacles, aux refus mais reprend toujours la route de la miséricorde. Les situations matrimoniales et familiales complexes ont beaucoup retenu son attention et ses soins, son zèle pastoral.
Comprendre et éprouver la hauteur de l’amour divin qui est capable de se dire dans tant de cultures, dans tant d’histoires personnelles et collectives et accepte une telle diversité dans l’Église ; comment ne pas évoquer ici sa connaissance du monde, son attrait pour la mission universelle de l’Église, et l’accompagnement de longue durée auprès de la Délégation catholique pour la coopération (DCC) ?
Comprendre et éprouver la profondeur de l’amour du Seigneur qui est capable de nous changer, de nous convertir de l'intérieur, de nous transformer pour devenir des disciples. Reprenant une formule de l'un de ses professeurs, il aimait dire : « la route nous change. » Et certes, la maladie l’a changé, lui si impatient et toujours plein de projets, il s’est bien sûr désolé de ne plus pouvoir agir et d’être si épuisé. Mais j’ai vu dans son regard et dans des allusions, ce qu’il ne pouvait pas encore dire. Ayant donné sa vie pour le Christ et son Église, François Garnier a accepté ce dernier changement, cette dernière transformation : s’abandonner dans les bras du Seigneur au moment du passage, de la Pâque.
Et c’est cette remise à Dieu que nous célébrons maintenant dans cette eucharistie. Que le Seigneur lui-même accueille notre prière pour notre frère François, votre évêque et notre ami, et qu’il en fasse une louange de gloire.
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