"Nous ne sommes pas des Dinosaures"

édito du 4 février

                   « NOUS NE SOMMES PAS DES DINOSAURES »…

 

                            AU LENDEMAIN DES 24 H DE LA VIE CONSACREE

 

Sur une page de la Voix du Nord du samedi 30 janvier 2016, deux religieuses au sourire éclatant. Deux sœurs des Maternités Catholiques, en grand habit de religieuse. Elles disent à celle qui les interroge : « nous ne sommes pas des dinosaures !». A la fin de cette année de la Vie Consacrée, nous avons vécu une grande action de grâce en la cathédrale de Cambrai pour toutes les personnes qui l’ont choisie : religieuses apostoliques ou contemplatives, religieux prêtres, laïcs consacrées, vierges consacrées…. Un énorme merci pour chacune d’elles,  doublée d’une énorme supplication afin que des oreilles s’ouvrent à l’appel du Christ : « vas, vends, donne, viens, suis-moi… ».

Quel bonheur de les voir rassemblées et de rappeler les sept trésors qu’elles nous donnent et qui sont autant d’appels pour nous tous.

 

  • Dans un monde de plus en plus marqué par l’individualisme, donnez-nous de voir ce qu’est une vraie vie fraternelle.

Cela n’est pas rien de réussir une vraie vie fraternelle entre personnes consacrées alors que l’on ne s’est pas choisi et qu’on est de tous les âges ;une vraie vie fraternelle dans la longueur du temps et souvent dans l’espace limité d’un appartement ; chaque travers minime peut prendre alors des proportions de cataclysmes ; il faut aller au-delà des tensions qui peuvent toujours naître des susceptibilités, des ressentiments et des frictions entre générations proches. C’est de la qualité vraie de votre vie fraternelle que nous avons besoin ; c’est elle qui fait signe au monde ; c’est votre vie fraternelle, votre bonheur, votre joie, votre sourire qui parlent à ceux qui vous visitent.

 

  • Dans un monde où les paroles données sont de plus en plus fragiles, donnez-nous de voir que votre engagement est un engagement pour la vie.

On peut dire de la vie consacrée qu’elle est la réponse la plus « folle » à l’amour le plus « fou » reconnu dans celui que Dieu a pour nous. Et de même  que Dieu ne revient pas sur sa manière folle d’aimer, il donne à des êtres fragiles de ne pas revenir sur la manière apparemment folle dont ils répondent à son amour.

Cette réponse folle à un amour fou qui ne se reprend pas s’exprime aussi dans le mot de « consécration ». Etre « consacré » ,ce n’est pas se mettre à part comme à distance d’un monde jugé profane et même mauvais, mais c’est se livrer à l’Esprit pour qu’il nous sanctifie - et ce faisant - qu’il sanctifie ce monde aimé de Dieu. Etre « consacré », ce n’est pas offrir de son temps, se son esprit, de ses forces à une cause que l’on juge bonne (secours catholique, personnes handicapées, enfants de la rue...), c’est se livrer tout entier et pour toujours à l’Esprit Saint.

 

  • Dans un monde de bruits et de vitesse, redonnez-nous le goût du silence et du temps.

Il est écrit dans la règle primitive du Carmel « Méditez, jour et nuit la Loi du Seigneur et veillez dans la prière ». En pratiquant le plus possible ensemble l’oraison longue, rendez-nous au moins le goût de l'oraison  courte ! Dites – nous par votre long silence  qu’il faut du temps pour rencontrer Celui qui nous attend, pour « demeurer » avec Lui, pour le laisser nous transformer du dedans, convertir les passions qui s’affolent, évangéliser les réactions trop vives. Il faut du temps pour accepter de se laisser guider, pour nous abandonner à Lui aux heures où les épreuves surgissent. Rappelez- nous que le temps du silence est déjà celui de l’action apostolique.

 

  • Dans un monde fasciné par l’argent, donnez-nous de voir quelle est votre richesse.

Le mot pauvreté fait problème : il évoque la misère, le sous-développement, les conditions de vie déshumanisantes. En ce sens, la pauvreté est à combattre, au nom même de la parole de Dieu. Les « consacrés » ne sont pas pauvres de cette pauvreté là, même si leur style de vie est simple.

Alors, choisir la pauvreté (ce qui est un luxe dans un monde où elle est beaucoup plus subie que choisie), c’est quoi ? C’est choisir de suivre le Christ en son abaissement le plus total, de se faire le « Très Bas » à genoux devant les pieds à laver ; c’est devenir libre de toute convoitise à l’égard des biens ; c’est renoncer à toute appropriation personnelle et accepter de rendre des comptes ; c’est manifester une solidarité première avec les exclus ; c’est accepter de se laisser évangéliser par les pauvres ; c’est aussi demeurer disponible aux appels de l’Église sans s’entourer de toutes les garanties possibles.

 

  • Dans un monde qui croit impossible le célibat, c’est le moins que l’on puisse dire, donnez-nous de voir qu’il est aussi une belle manière d’aimer.

Comment expliquer que le célibat soit l’un des choix les plus constants de la vie consacrée, sinon par le désir évident et qui se passe de toute justification de faire le même choix que le Christ ? Jésus a choisi le célibat, alors que le judaïsme (sauf peut-être à Qumran) l’excluait des choix de vie possibles ; il l’a choisi non par suspicion de la sexualité (il est d’ailleurs infiniment discret sur ce chapitre alors qu’il ne l’est pas sur l’hypocrisie et  l’injustice) ni par peur  ou mépris du mariage :s’il le choisit, c’est pour montrer qu’il ne veut être ni «  père en premier »pour les fils de sa chair, ni «  époux en premier » pour son épouse ; sa mission est d'être « Fils et frère » et de l’être totalement pour tous ,  sans que rien ne vienne atténuer la radicalité de ce choix .

Ce faisant, il n’impose à personne le célibat. Mais on comprend que ses disciples l’aient choisi pour suivre le Christ jusque dans cette manière d’aimer  qui n’a de sens que dans la foi au Ressuscité et dans le Royaume que le Père veut pour nous.

 

  • Dans un monde fasciné par l’autonomie,  donnez-nous de voir la liberté que peut offrir l’obéissance.

Obéir…Voilà un mot qui résonne surtout dans les casernes («  l’obéissance étant s la force principale des armées… ») et qui sonne de plus en plus mal aux oreilles d’aujourd’hui- et même lorsqu’elles sont chrétiennes- surtout s’il s’agit d’obéir sans comprendre « perinde ac cadaver », « sans résistance comme un cadavre »…On voit les deux risques possibles : celui de l’aliénation de « l’obéissant »et celui de l’autoritarisme de celui qui commande.

Les congrégations ont mis en place des structures de gouvernement, tout à fait nécessaires, afin  de réguler toutes les déviances possibles du pouvoir : l’individualisme, l’autoritarisme, les déviations idéologiques, les règlements de compte, l’esprit de parti, et la soif du pouvoir. Ce dernier n’est alors vécu qu’à la manière dont le Christ vit le sien : pour servir. Alors, l’obéissance libère des rêves subjectifs, elle fait prévaloir l’intérêt de tous sur les opinions personnelles, elle donne d’accepter que   les autres voient mieux que nous là où nous servirons le mieux ; elle libère aussi de l’entière responsabilité de l’échec, celui du supérieur qui a pû se tromper et celui  de l’obéissant qui n’a pas réussi sa mission.

 

  • Enfin, dans un monde qui oublie si facilement le ciel, donnez-nous de voir qu’on peut l’anticiper.

Ceux et celles qui ont choisi la Vie Consacrée ont la vocation première d’anticiper le Royaume de Dieu dans ce monde troublé. Là où ils sont, «  les épées sont transformées en charrues ;  il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; là monte ininterrompue la louange de Dieu et il n’y a pas d’autre Seigneurie que celle du Christ ».

Ils ont la belle  mission  de faire exister un coin de ciel  sur un coin de terre !  Ce n’est pas rien.

 

 

                                                                                             

                                                                                                                                            

+ François Garnier

Archevêque de Cambrai

 

 

 

Article publié par Cathocambrai • Publié le Mercredi 10 février 2016 • 2739 visites

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