Gloire à Constantin !
Après la semaine dramatique que nous venons de vivre
Il y a mille sept cents ans, le père de la liberté religieuse, c’est l’empereur Constantin ! L’Edit de Milan, en 313, ouvre une nouveauté de portée considérable dont il convient de se souvenir après la semaine dramatique que nous venons de vivre. Cet Edit n’institue pas le christianisme en religion d’empire, ce que l’on affirme trop souvent, mais il garantit l’existence de tous les cultes ; Constantin lui-même n ‘est pas encore chrétien.
Son Edit est une déclaration de politique religieuse générale prise au nom de la sécurité de l’empire et du bien public. Pour la première fois, un principe général est formulé, celui de la liberté religieuse définie comme un droit de la personne alors qu’elle était conçue dans toutes les cultures antiques, judaïsme inclus, comme une liberté collective relevant de l’appartenance et de l’identification ethnique : chaque peuple devait avoir sa religion. Désormais, il est donné à tous, aux chrétiens comme aux autres, « la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix », « ouvertement et librement ».
Est mise en place une politique de respect pour tous, à l’égard des chrétiens et de tous ceux qui ne le sont pas. Ce faisant, Constantin n’affirme pas que toutes les religions sont équivalentes : il distingue ceux qui sont dans la vérité et ceux qui sont dans l’erreur ; mais il donne le droit à l’erreur. La christianisation qu’il souhaite ne doit pas se faire par la contrainte, mais par le rayonnement de la sainteté de ceux et celles qui aiment le Christ.
De tous les documents du Concile Vatican II, la déclaration sur la liberté religieuse fut celui qui suscita les plus grandes passions. « Ce fut une grande bataille », reconnut le Père Yves Congar dans son petit livre lumineux : « La crise dans l’Église et Monseigneur Lefebvre »1. Alors que tous les textes conciliaires ne suscitaient qu’entre cinq et vingt « NON », celui-ci en suscita soixante dix, contre toutefois deux mille trois cent huit « OUI ».
La minorité à laquelle appartenait Monseigneur Lefebvre s’est battue pied à pied et continue de le faire ; elle a développé un argument sérieux : « l’erreur, disait-elle, n’a pas de droit ; on la met indûment sur le même pied que la vérité ». Or que dit le texte ? On peut s’étonner qu’il ait suscité tant de passions ! Il ne nie pas le droit de Dieu à être écouté et obéi, ni le devoir que les hommes ont de le chercher et « quand ils l’ont connu de l’embrasser et de lui être fidèles » (n°1, 3, 14). Il défend la liberté que doit garder l’Église d’annoncer l’Évangile et d’en vivre dans la vie publique. L’affirmation centrale du texte est celle-ci : « Que tous les hommes doivent être soustraits à toutes contraintes de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelques pouvoirs humains que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse, nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres ». Le droit à la liberté religieuse trouve son fondement « dans la dignité même de la personne humaine, telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même ».
Soyons clairs : l’Église ne renoncera jamais à proclamer que Jésus est son unique Seigneur par qui nous connaissons enfin tout de Dieu et tout de l’Homme, d’un Dieu enfin recevable et d’un Homme enfin réussi. L’Église doit faire tout son possible pour « proposer la foi dans la société actuelle », pour orienter le temporel vers Dieu et selon Dieu. Mais dans un monde désormais pluraliste où la valeur d’ailleurs proprement chrétienne de la personne s’est affirmée comme inviolable, l’Église n’exerce plus son influence que par la force de la vérité elle-même et par la sainteté de ceux qui la vivent. « Influence », cela signifie une « action réelle » mais sans « pouvoir ». C’est l’heure du témoignage et des signes évangéliques issus d’un amour total.
A la fin du Concile et aujourd’hui encore, certains esprits gardent la nostalgie d’une christianisation par le pouvoir, ce qu’Etienne Gilson appelait la nostalgie du baptême de Clovis. L’Église de Vatican II coupe les chaînes qui la maintenaient sur les rives du Moyen Age.
Il est bon de redécouvrir aujourd’hui la modernité de l’Edit de Milan et la grande sagesse de l’empereur romain du IVème siècle. Si seulement chaque nation, dans le monde d’aujourd’hui, avait la grâce d’avoir son « Constantin » !
+ François Garnier
Archevêque de Cambrai