La barque, la péniche et le cargo

Édito du 2 juillet 2015

La barque, la péniche et le cargo

 

Homélie pour l’ordination presbytérale

De Théophane Hun et Benjamin Sellier

 

Cathédrale de Cambrai, le 21 juin 2015

 

 

  1. Au temps des premières communautés chrétiennes et des trois premiers siècles de son histoire, notre Église a été la petite barque secouée par toutes les tempêtes possibles :           les tempêtes internes, parce que ses membres sont fragiles, se jalousent, se querellent et se divisent, proies faciles attirées par les sectes ; les tempêtes externes, persécutions de toutes sortes énumérées par l’apôtre Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens (chap 11 et 12) : insultes, arrestations, prison, coups de bâton, fouet, lapidations, trahisons, … Il sera lui-même martyr.

Petite Église incroyablement dynamique malgré toutes ces tempêtes !

Petite Église courageuse qui passe sans cesse sur les « autres rives », parce qu’une Bonne Nouvelle comme celle du Christ ne peut pas se garder pour soi ! Parce qu’elle doit toucher tous les rivages : dans le Christ en effet, nous découvrons enfin un homme vraiment homme ; nous sommes si souvent des bêtes entre nous ! Et avec le Christ, nous découvrons enfin un Dieu vraiment Dieu, un Dieu Père qui ne fait plus peur, qui nous aime et ne veut que notre bonheur. Nous sommes porteurs d’un véritable trésor.  Oh, d’un trésor qui dérange : d’un Trésor Lumière qui dérange ceux qui aiment les ténèbres. D’un trésor qui dérange les puissants (que fais-tu de ton pouvoir ?), les possédants (que fais-tu de ton argent ?), les savants (que fais-tu de ta science ?), qui nous questionne tous (que fais-tu de ta vie – de ta capacité d’aimer et de servir ?)

 

  1. Vingt siècles après, une Église comme celle de notre diocèse n’est plus une petite barque ! Elle est une grosse péniche lourde de sa longue histoire et de ses structures… mais la grosse péniche est toujours secouée par les tempêtes : tempêtes internes : la multitude des jalousies, l’indifférence massive de trop nombreux baptisés, les déceptions de beaucoup, le désormais tout petit nombre des prêtres, la fragilité des communautés religieuses… pour ne citer que celles-là. Tempêtes externes aussi : notre Église est secouée par les choix de société qui vont à l’envers de ce qu’elle a servi et croit bon pour tous. Récemment, s’adressant aux responsables de l’Observatoire National de la Laïcité, Monseigneur Pontier, Archevêque de Marseille, et Président des Evêques de France, les énumérait parce qu’ils nous font mal : « débats  tatillons sur le port ostentatoire des signes religieux, débats sur le mariage, sur le début et la fin de la vie, sur le travail du dimanche » pour ne citer qu’eux. Plus profondément, « la laïcisation de la société, composée comme le projet de cantonner l’expression des convictions religieuses dans le seul espace privé »…

Tempêtes, oui ! Mais le Trésor reste le trésor. Portés par nous, fragiles vases d’argile. Trésor qu’est le Christ ! Trésor à partager aujourd’hui comme au temps des apôtres, et quelles que soient les épreuves à traverser !

Avec Paul, nous pouvons dire : « A tous moments, nous subissons l’épreuve, mais nous ne sommes pas écrasés ; nous sommes désorientés, mais pas désemparés ; nous sommes pourchassés, mais pas abandonnés ; terrassés mais pas anéantis… » (2Co 4, 8)

 

  1. Chers Théophane et Benjamin, vous allez entrer comme prêtres dans la petite barque des origines devenue grosse péniche dans ce diocèse et même énorme cargo lourd à manœuvrer à l’échelle de la planète.

L’Évangile vous dit comme à nous que Celui qui semble dormir dans la barque ne dort pas ! Il ne dort que d’un œil ! Là est la bonne Nouvelle !

Qu’il demeure la source inépuisable de votre sérénité.

Qu’il demeure l’Ami auprès duquel vous ne perdrez jamais votre temps.

Que sa Parole devienne la vôtre et qu’elle soit votre joie.

Que son Corps soit chaque jour votre nourriture.

Que son Pardon soit source de votre miséricorde.

Que vous « aimiez les gens » comme Il les a aimés :

sans jamais les charger des fardeaux que nous ne porterions pas nous-mêmes,

en privilégiant toujours les plus faibles au risque de déplaire,

en réalisant à quel point nos épreuves de prêtres restent le plus souvent très petites au regard de celles que connaissent de nombreux laïcs, avec la maladie ou le handicap de leurs plus proches, avec l’épreuve des séparations, et trop souvent avec la blessure qu’est le chômage qui dure.

Que le Christ vous apprenne son autorité ; c’est celle de la sainteté. Elle n’a rien à voir avec l’autoritarisme.

Qu’il vous garde dans la passion pour la mission : vous vous rappelez ce que l’Esprit dit à l’Église d’Ephèse (Ap 2,4) : « J’ai contre toi que tu as perdu ton amour des premiers temps… »

Que vous aimiez l’Église, même avec ses faiblesses, et compreniez qu’elle n’avance pas toujours au rythme de vos souhaits, simplement parce qu’elle est universelle et marche aux pas souvent lents de l’unité fragile à préserver.

Enfin, que vous priiez souvent sur les questions qu’au nom de l’Église, je vais vous poser dans un instant. Elles vous rappelleront toujours le cœur de notre ministère de prêtres, quelles qu’en soient les formes changeantes : il s’agit de servir et guider le peuple chrétien sous la conduite de l’Église, d’annoncer l’Évangile et d’exposer la foi catholique, de célébrer avec foi l’Eucharistie et le Sacrement du Pardon.

 

Et si, par hasard, à certains moments de votre vie de prêtres, la panique qui prit les apôtres dans la barque secouée vous prenait, écoutez Celui qui ne dort que d’un œil vous dire gentiment  comme à la mer : « Silence, tais-toi ! »

 

 

+ François Garnier

Archevêque de Cambrai

 

 

Article publié par Cathocambrai • Publié le Lundi 06 juillet 2015 • 2867 visites

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